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David Michael Clarke développe le contexte de son projet artistique dans le cadre de sa résidence au Lycée Le Dantec de Lannion

Citoyen britannique vivant en France, David Michael Clarke crée des jeux de mots et des glissements de sens entre sa langue maternelle et la langue française. En 2013, à l’invitation du Lycée Félix le Dantec de Lannion et d’Itinéraires bis-galerie du Dourven, David Michael Clarke bénéficie d’une résidence d’artiste au sein du Lycée.

Le 2 septembre 2012, lors d’un entretien, il développe le contexte de son projet de résidence :

« J’ai récemment découvert le projet pour la vie rurale mené par Le Corbusier dans les années 30.

Ce projet a été et est toujours radical ; l’ancien village de Piacé (Sarthe) aurait été remplacé par un village coopératif et « radieux ». Dans le village, Le Corbusier a pensé à un club, un lieu de rencontre et d’échange, un lieu où les paysans puissent participer aux activités culturelles ou sportives, ou tout simplement partager un verre et dialoguer. Grâce à cet échange d’idées, le village pourrait évoluer. Selon Le Corbusier, le club pourrait être perçu comme le cerveau du village. Par la suite, j’ai décidé de m’interroger sur cette idée de club.

Un jour, en traversant la Mayenne, j’ai croisé une manifestation remarquable. Une usine avait pollué le bocage. Le lait produit par les deux troupeaux de vaches est devenu imbuvable ; les vaches ont été abattues. Les paysans ont exprimé leur malheur d’une manière très sculpturale. Six potences ont été érigées et des têtes de vaches, découpées dans du carton noir, ont été pendues. Cela a été un geste fort. Comme des cerfs-volants, les têtes se sont envolées dans le vent. En réaction, j’ai prononcé à haute voix, « Wow ! Flying Black Cows ! » et par la suite, « Flying Black Cows … ceci pourrait être le nom de mon club ! »

La première manifestation du Flying Black Cow Club a eu lieu dans le cadre du projet AFIAC, dans le Tarn. Tous les ans, dix artistes sont invités à créer des installations et des événements chez les habitants. J’ai été accueilli par Alice et Michel Séon qui m’ont témoigné de leur vie dans l’agriculture. Ceci a été un long parcours à partir du remaniement de la plaine, à travers une époque d’exploitation intensive, afin d’arriver à un projet de développement durable. Aujourd’hui, ils sont à la retraite et leurs enfants ont repris la ferme. Pourtant, ils ne sont pas pour autant désengagés. Ils continuent d’être passionnés par les challenges auxquels sont confrontés les paysans d’aujourd’hui et de demain.

Lorsque j’ai fait un tour de la ferme, je suis tombé sur un énorme tas de pneus. Je me suis dit que je pourrais m’en servir pour faire une sculpture, mais quand j’ai suggéré l’idée à Alice, elle avait l’air troublée. C’est la génération d’Alice et Michel qui a amené les pneus dans les fermes. Ils s’en sont servis pour la construction des silos. Aujourd’hui les jeunes agriculteurs utilisent d’autres méthodes ; les tas de pneus pourrissent, polluent et gâchent le paysage. Alice et ses camarades ont créé une association afin d’étudier le problème avec l’espoir de pouvoir assurer le recyclage. Pour commencer, ils ont recensé tous les tas de pneus usés dans la communauté de communes. A cette date, ils ont trouvé seize mille huit cent quatre vingt quatorze pneus. Mon père vient d’Hong Kong. Un souvenir d’enfance : mon père faisant ses calculs sur son boulier chinois. Le boulier chinois est une machine très ancienne. Il y a très peu d’écart entre sa forme et sa fonction. La fonction est d’assister l’homme à répondre à ses challenges. J’ai songé créer un boulier chinois géant et écrire cette énorme chiffre dessus.

Retournons au projet de Le Corbusier, et son idée d’installer un club au cœur du village coopératif. C’est assez clair que pour lui, le club aurait été beaucoup plus qu’un simple équipement culturel. Il a vu le club comme un outil de travail. J’ai commencé à réfléchir sur les différents prétextes de rencontres post-travail qui existent dans le milieu rural en France. L’apéritif et le jeu de pétanque sont sûrement les plus populaires. Depuis fluxus, l’art est souvent perçu comme lieu de rencontre, mais pourrait-t-on penser le jeu de pétanque comme outil de travail ? J’ai décidé d’élaborer un projet hybride … une installation participative, un lieu de rencontre … ou comme Daniel Buren aime dire … un outil visuel. J’ai combiné le jeu de pétanque français avec le jeu de quilles qui se trouve souvent à l’arrière des « pubs » en Angleterre. J’ai basé la forme de mes quilles sur le boulier chinois. Chaque quille représente un chiffre différent, de un à dix. Alice et Michel sont originaires de la Loire, près de St. Etienne. Le père d’Alice a été champion de boules lyonnaises. Elle nous a permis d’utiliser ses boules lors de la manifestation. Les quilles ont été réalisées par Vincent Verlinde, un artisan local. Avec mon intérêt renouvelé pour les jeux de « bowling », j’ai décidé de rendre visite et de découvrir le bowling du Mans. J’ai été accueilli par Frédéric Le Terrec. C’est son père qui a créé le bowling à l’époque post-guerre. A l’arrière des pistes, tournent toujours des vielles machines qui trient les boules et les quilles. Elles font « clic », elles font « clac », elles ronronnent, elles bourdonnent. Elles sont arrivées en France, avec les films westerns, Elvis Presley et les premiers tracteurs. Ainsi au cœur d’une ville industrielle comme Le Mans, je me suis trouvé en train de songer à nouveau à la France rurale, le remembrement, l’industrialisation du bocage et l’agriculture intensive … ce à quoi Alice et Michel ont renoncé. Il m’a semblé que j’ai bouclé la boucle. Pour mon projet, pour Afiac 2012 à St Paul Cap de Joux, j’ai essayé de faire résonner toutes ces histoires qui sont venues à ma portée par les aléas de la vie.

En Bretagne, en profitant du vent, une ressource naturelle locale, je propose de faire une deuxième version du club, The Flying Black Cow. L’essence d’un club est le groupe. C’est l’abandon de l’isolement artistique. En tant qu’artiste, on partage le projet avec d’autres, ce qui permet à certains aléas d’entrer dans le processus. Ainsi le projet prend un aspect organique et devient une aventure vers l’inconnu. J’installe certaines contraintes, certaines règles de jeu au départ, mais même celles-ci sont là pour être testées, voir cassées. J’ai envie de prendre ces « cerfs-volants » accidentels, et de les transformer en des vrais. J’ai envie de voir des sculptures voler dans le ciel. J’ai envie de voir ces formes agir au-dessus de l’architecture bretonne, des villages, maisons et églises. J’ai envie de faire des petits « happenings », insolites et inattendus. »

http://www.davidmichaelclarke.net/